C’est en voyageant en Louisiane et plus particulièrement dans un bayou1 et les swamps2 du nord de la Nouvelle-Orléans que j’ai eu l’idée d’écrire un article consacré aux racines. Décrire les bayous, c’est presque le même exercice que d’expliquer la mangrove et ses bolongs du Sénégal. Nous allons donc nous promener dans le monde mystérieux des racines étranges. De ces racines surgissent des animaux vivants dans ce milieu aquatique. 3
Vous me direz que ce monde est trop vaste pour n’en faire qu’un seul article. Vous avez raison. Ce monde est aussi vaste que le pourtour de notre planète. D’autant que l’on sait maintenant que les racines couvrent le sous-sol de la quasi-totalité de la planète.4 De plus, les champignons mycorhiziens jouent un rôle de connexion entre les racines.
Les racines aériennes
Reprenons notre quête à partir du bayou situé à l’Est de la petite ville de Slidell, en Louisiane à quelques miles de l’État du Mississippi.5 Nous avons parcouru la Old pearl river bordée par les bayous se perdant dans des méandres de plus en plus petits.6 Cette zone est l’une des dernières qui est naturelle des États-Unis. 7
Les principaux arbres que l’on retrouvera dans les swamps sont le cyprès, le Tupelo 8 et le palétuvier.9 Le cyprès de Louisiane ou cyprès chauve Taxodium distichum, fait dorénavant partie de la famille des Cupressaceae. 10 Il s’adapte de manière remarquable au milieu aquatique très présent dans les sud des États-Unis. A maturité, il atteint les 30 à 50 mètres de haut pour un diamètre de tronc de 2 mètres. L’arbre vit de 300 à 500 ans. Une caractéristique est la remontée de ses racines tout autour du tronc plongé dans l’eau. Ce sont les pneumatophores qui sont des organes lignifiés, qui peuvent atteindre 1,7 m de haut, émergeant du sol ou de l’eau tout autour du tronc.
Ces racines aériennes servent probablement d’ancrage aux arbres de taille respectable. Le sol est constitué de terre et d’alluvion assez mouvant qui ne permettent pas aux arbres aussi haut de tenir droit sans ce système racinaire. Le système racinaire des palétuviers est identique. Il est probable que la fonction des racines aériennes permet, aussi, à la plante de respirer grâce à ses racines creuses remontant au-dessus de la surface de l’eau, un peu comme un tuba. Elles servent aussi d’ancrage dans une moindre mesure puisque le palétuvier atteint les 5 m au maximum.
Des nombreuses racines aériennes
Un autre exemple de racines aériennes encore plus spectaculaires, ce sont celles du Ficus de la baie de Moreton. 11 Cet arbre est originaire de la baie éponyme en Australie. Florian et moi avons découvert cet arbre lors d’une de nos pérégrinations, cette fois sur l’île espagnole de Tenerife. Dans le Jardín de aclimatación de la Orotava, le Ficus macrophylla var. columnaris s’est présenté à nous de façon magistrale. Son aspect impressionnant se caractérise par ses racines aériennes ramifiées, de soutien, qui rejoignent le sol et se transforment en autant de troncs supplémentaires. Ce sont de véritables piliers qui favorisent le maintien du poids de la partie sommitale de l’arbre. Cet arbre a un besoin d’eau colossal. De ce fait, s’il est planté en ville, il vaut mieux l’éloigner des canalisations d’eau qu’il est capable de cannibaliser.
Cannibaliser des tuyauteries ?
Allons donc ! Cela paraît fort improbable. Pourtant, j’ai bien fait d’attendre mon passage à Palerme. Mon petit doigt me disait qu’il fallait attendre quelque peu la parution de l’article. Bien m’en a pris. En visitant le Palazzo Butera, j’ai pu voir la racine d’un Jacaranda mimosifolia 12 qui a transpercé le mur des écuries pour entrer dans le sous-sol et arriver dans un chenal du XIXe siècle qui avait été installé pour évacuer les eaux de pluie. Ce chenal de 40 cm de profondeur environ était bordé de carreaux de faïence du XVIIIe et XIXe siècle. une racine a utilisé toutes les ramifications de ces chenaux pour atteindre l’eau précieuse.
Lors de la restauration du bâtiment après 2006, les propriétaires du Palazzo ont conservé les chenaux et la racine sur toute sa longueur. La partie visible fait environ 16 m de long. Une partie des racines passe sous le bâtiment à l’abri des regards en s’enfonçant plus profondément dans un réservoir d’eau. Voilà donc ce qui peut se passer sous terre sans que l’on puisse découvrir pourquoi ce l’eau de pluie n’arrive pas à bon port !
Eau douce ou saumâtre ?
Le cyprès chauve vit dans une eau douce puisque les bayous sont formés par les anciens bras du Mississippi. Le palétuvier pousse plus près de la mer et vit dans une eau saumâtre 13. Généralement, c’est ce qui arrive dans les embouchures des fleuves comme le Sine Saloum au Sénégal. Il en va de même avec celle du Mississippi. Par contre, au niveau de Sidell, nous avons à faire à de l’eau douce.
Mais de quoi est composé le sol des bayous. Par mesure on sait que dans les bayous la profondeur de l’eau va jusqu’à 1,5 m. Le sol est composé d’un mélange d’alluvion du Mississippi et de sable de la mer. Durant la préhistoire, la mer couvrait une grande partie de la Louisiane. Ce sont les alluvions du Mississippi qui vont faire reculer la mer petit à petit. Donc on y trouve tous les éléments minéraux que les plantes ont besoin pour pousser dans des lieux qui paraissent hostiles.14
Dans l’avenir nous aborderons plus en détail des palétuviers puisque nos amis sénégalais de la ferme pédagogique de Ndoumboudj vivent dans le delta du Siné Saloum. Nous ne sommes pas allé visiter les palétuviers de l’embouchure.
Des racines de toutes les formes
Sans transition, dans les Fagnes belges, j’ai rencontré une racine étonnante. Elle sortait de terre en remontant vers le haut pour plonger aussitôt dans le sol, créant ainsi un demi-cercle au-dessus du sol. Il est très probable que la racine a rencontré un obstacle rigide l’ayant contourné. C’était probablement un caillou rond. Ayant passé ma main dans cet espace intérieur, la racine est parfaitement sphérique.
Ce qui est étrange, c’est que l’arbre n’a pas choisi de contourner l’obstacle par les côtés ni par en-dessous. Quand on sait qu’une racine de vigne est capable de perforer la roche mère, l’on se dit que dans ce cas, l’arbre était peut-être dans un état de faiblesse pour seulement contourner un obstacle.
En même temps, si nous voyons cette racine, il n’est pas impossible que le sol ait subi une érosion au cours des siècles qui fait apparaître ces étrangetés. Je pense aux hêtres de chez mon grand-père ou aux arbres de la forêt de Scherwiller, en Alsace. Bien d’autres forêts encore nous montrent des formes de racines parfois incroyables qui se sont formées au gré des obstacles rencontrés. Toujours est-il que ces formations bizarroïdes n’ont aucune explication scientifique. Les chercheurs continuent à chercher…
Des racines moches ?
J’ose faire un saut de géant entre la magnificence de ces racines d’arbre avec celles des légumes dit moches ! J’ose en effet d’autant que la nature nous offre parfois des constructions racinaires subjuguantes voire érotiques, pour ceux qui auraient l’esprit aussi mal tourné qu’une racine…
Bien sûr, les légumes les plus moches se retrouvent chez les légumes-racine. La carotte est un bel exemple d’autant que la racine pivot ne supporte pas les obstacles. C’est d’ailleurs pour cela que l’on dit que la carotte ne se repique jamais. Il faut la semer dans un sol meuble, où les mottes de terre ont été finement concassées, voire même dans un sol sableux.
Des plantes sans racines ?
Revenons aux cyprès des swamps. A l’instar d’autres plantes hydrophiles, ils sont recouverts de mousses espagnoles. Cette plante, la Tillandsia usneoides fait partie de la famille des Broméliacées. 15 Elle pend aux branches d’arbres sans être une plante parasitaire puisqu’elle n’a pas de racine qui puise sa nourriture dans l’arbre. La preuve est qu’elle s’accroche aussi aux fils téléphoniques et à tout autre support aérien. Elle capte l’humidité de l’air et les éléments nutritifs sous forme de poussières.
Les Français lui ont donné le nom car ils trouvaient que cette mousse ressemblait à la barbe des Espagnols. Les autres noms sont filles de l’air ou barbe du vieillard. Elle peut être très présente sur les arbres au point de ralentir la croissance de ces derniers en réduisant la photosynthèse. Cette plante augmente aussi la résistance au vent, ce qui peut se révéler fatal pour les arbres lors des ouragans. Elle se développe dans un climat chaud et humide. La Tillandsia donne une atmosphère hantée aux paysages mythiques du bayou.
Plus près de chez nous, nous pouvons comparer cette plante au Gui Viscum album qui colonise certains de nos arbres. A contrario du Tillandsia usneoides, le Gui, effectivement est une plante sans racine, mais elle parasite en partie son hôte. Le Gui possède un à deux suçoirs qui lui permet de prélever qu’une partie de la sève à son hôte (eau et les sels minéraux). On dit alors qu’il est hémiparasite. Il s’agit d’un sous-arbrisseau de la famille des Santalaceae. Quelques Viscum album parasitent ainsi le saule pleureur de notre potager d’Éghezée.
En conclusion…
Nous sommes loin d’avoir fait le tour des racines des arbres. Il suffit de taper sur Internet des mots-clés comme racines remarquables pour découvrir des centaines d’autres types de racines. Nous découvrons alors combien les racines sont capables de s’adapter à l’environnement naturel ou humain comme celles qui colonisent les monuments du Laos ou de Thaïlande. Si l’on n’y prend garde, les racines finissent par détruire la pierre ou toutes les constructions humaines. L’arbre prendra son temps pour le faire, mais il y arrivera.
Quand les chercheurs nous indiquent que les racines du hêtre ne s’enfoncent que de 2 à 3 m dans le sol, je finis par douter de leurs conclusions. Certes, quand un arbre est déraciné par une tempête comme celle de novembre 2023 qui a frappé la Bretagne 16 de plein fouet, nous montre des racines superficielles. Souvent l’on voit la racine pivot qui a été coupée net par la force du vent dans la ramure, mais l’on ne va creuser plus profondément pour voir jusqu’où, elle va. Probablement, elle descend beaucoup plus bas qu’on ne le pense, quand on pense que la racine de la laitue, à maturité, atteint le mètre trente de profondeur, en moins d’un an !
Bref, il y a donc encore beaucoup à dire sur les racines. Les bayous nous ont donné l’occasion de découvrir ce que nous ne connaissions pas encore. Nous aurons donc l’occasion de creuser (le mot est juste) le sujet plus avant pour mieux comprendre ce monde obscure.
Géry de Broqueville
- Un bayou est une petite rivière d’eau au débit lent. Ils se divise en bras marécageux le long d’un fleuve. En Louisiane, les bayous forment un réseau navigable, aux nombreux méandres, long de plusieurs milliers de kilomètres. ↩︎
- Le swamp est un marécage en eau salée et douce, peu profonde et stagnante. Dans un bayou, il y a beaucoup de swamp. Leurs écosystèmes sont donc mélangés. ↩︎
- Voir ci-dessous l’album des animaux rencontrés dans les bayous ↩︎
- Quid des déserts ? Point de racines ? Et pourtant, quand il pleut dans un désert, des plantes naissent, se multiplient puis finissent par disparaître quand le soleil implacable refait son apparition. ↩︎
- Pour arriver à cet endroit au milieu de nulle part, nous avons emprunté la route US90 qui porte le nom de ‘Chef menteur Hightway’. En français dans le texte. Cela ne s’invente pas ! La route se termine par un pont impossible à traverser tant il risque de s’effondrer dans la rivière. Il date de 1930. ↩︎
- Nous avons réservé chez le guide local nommé ‘Cajun Encounters Tour Company’. Il semblerait que c’est la compagnie la plus écologique. Bien que la démonstration de vitesse (80 km/h) sur la rivière n’est évidemment pas bonne tant pour les rives des bayous que pour les swamps. Cela dérange l’écosystème local, assurément. Mais bon, les Américains ont la mauvaise habitude de montrer leur pouvoir d’une manière ou d’une autre. ↩︎
- C’est l’un des marais fluviaux les moins altérés des États-Unis. Considéré par beaucoup comme l’un des habitats marécageux les plus intacts des États-Unis, le marais de Honey Island couvre une zone de plus de 30 km de long et de près de 10 km de large, avec 34 896 de ses 70 000 acres (280 km²) préservé par le gouvernement en tant que zone de protection permanente de la faune et de la flore. Les animaux qui vivent dans le marais de Honey Island sont les hiboux, les sangliers, les ragondins, les serpents, les tortues, les aigles à tête blanche, les ours noirs les alligators, les ratons laveurs et les tortues. Nous avons découvert les trois derniers cités. ↩︎
- Tupelo, de son nom scientifique Nyssa aquatica, une sorte de gommier. ↩︎
- Le palétuvier de Louisiane est le Rhizophora mangle comme celui du Sénégal. ↩︎
- Voir plus de détails sur Wikipedia ↩︎
- Pour plus d’informations sur le figuier du Jardin d’acclimatation de la Orotava, cliquez ici. ↩︎
- Pour tout connaître sur cet arbre, cliquez ici. ↩︎
- L’eau saumâtre possède entre 0,05 et 3 % de sel mélangé à l’eau douce. ↩︎
- Pour comprendre la complexité de la composition des sols des bayous, une excellente étude a été réalisée en 1860. Elle peut être lue ici grâce à la numérisation d’un livre par Gallica. ↩︎
- Voir Wikipedia pour avoir plus de détails sur cette plante. ↩︎
- Il s’agit de la tempête Ciaràn qui a atteint la vitesse de 205 km/h à le pointe Saint-Mathieu. Voir article sur le sujet en cliquant ici. ↩︎