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Faut-il éradiquer les « nuisibles » ?

Les fourmis nettoyant le caca des pucerons
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Temps de lecture : 4 minutes

Dans cet article, nous aborderons la notion de nuisibles. Bien sûr, comme tout potagiste, nous sommes aussi confrontés à certains « nuisibles ». Depuis que nous sommes en permaculture nous avons changé notre approche de ces parasites. Notre regard et nos actions ont changé parce que nous avons pris conscience depuis plusieurs années que nous devions changer nos ressentis et notre regard envers la nature. Cet article fait suite à celui consacré au bio propre.

Prenons un produit reconnu en agriculture biologique, le Naturen Eradigun. (1) Voici ce que l’on peut lire sur un site Internet qui présente les qualités d’éradication des insectes. « Ce produit élimine une grande variété d’insectes nuisibles du jardin comme les pucerons, les cochenilles et les acariens sur arbres fruitiers, légumes, arbres et arbustes d’ornement comme les rosiers. Naturen Eradigun Insecticide végétal prêt à l’emploi contient de l’huile de colza qui agit par action physique. Elle forme une pellicule qui tue l’insecte par asphyxie. Ce moyen de lutte végétal est actif à tous les stades de développement de l’insecte : œufs, larves et adultes.« .

La question de savoir si ce produit tue tous les insectes sans distinction a été abordés dans l’article précédent sur l’article intitulé Un label bio propre ?.

Des nuisibles de tout poil

La liste des nuisibles est longue. Chez les mammifères, on dénombre le sanglier, la belette, le chien viverrin, la fouine, le lapin de garenne, la martre putois, le mulot, le ragondin, le rat musqué, le raton laveur, le vison d’Amérique, le renard, la souris… Les oiseaux ne sont pas en reste avec le corbeau freux, la corneille noire, l’étourneau sansonnet, le geai des chênes, la pie bavarde, le pigeon ramier… Chez les gastéropodes, il n’y en a que deux : la limace et l’escargot. Les insectes sont représentés par une centaine d’espèces tandis que les champignons, on en dénombre une trentaine. N’oublions pas huit familles de plantes invasives qui n’ont rien à faire chez nous comme la renouée du Japon.

Plus le temps passe, plus la liste s’allonge. Elle est complétée par les organismes nuisibles émergents. Ne faudrait-il pas se poser les bonnes questions à propos de ce phénomène ? Quels sont les facteurs de l’allongement de cette liste ?

La larve du hanneton aime bien le bois et s’il n’en rencontre pas, il s’attaque aux racines des légumes.

D’où viennent les nuisibles ?

Des études scientifiques commencent à voir le jour, tant les agriculteurs conventionnels ou biologiques, ressentent une pression de plus en plus importante des « nuisibles » sur leur production. Il suffit de compter le nombre de produits certifiés (2) pour se rendre compte que la première pression provient des « nuisibles ».

Y avait-il autant de pression au XIXe siècle que dans les siècles qui précèdent ? Il semble que les insectes soient peu nombreux. Prenons un des textes anciens que nous possédons, celui d’Olivier de Serres (1539-1619) qui écrit un livre en 1600. (3) Il donne quelquefois des noms d’insectes comme la galle-insecte nommée La morphée, Il cite les insectes malfaisants dans son potager : cantharides, chenilles, fourmis, hannetons, limaçon, pucerons, etc. Du Bellay ébouillante le sol pour se débarrasser de ces insectes. De Serres identifie sous le nom de coigneaux, deux espèces de charançon qui s’attaquent à la vigne. Une quinzaine d’insectes s’attaquent déjà au pommier et au poirier. D’autres insectes comme les mouches s’attaquent aux plaies des animaux.

De Serres ne parle jamais de nuisibles. Il faut chercher le mot bestioles pour découvrir quelques insectes. Il ne parle jamais de maladies. La pression vécue par les agriculteurs de l’époque se faisait plus au niveau des grands mammifères qui saccageaient les cultures.

L’intervention de l’Homme ?

Il est très probable que les nuisibles ont commencé à pulluler au moment de l’utilisation des produits chimiques naturels d’origine minérale comme en 1860 avec le nitrate du Chili. Mais c’est à partir de la fin de la première guerre mondiale que les nuisibles sont arrivés de plus en plus massivement. Il est donc possible qu’il y ait une corrélation avec l’arrivée des intrants chimiques. Les maladies sont arrivées au XIXe siècle au moment où les machines ont commencé à labourer en profondeur.

Retenons cette idée que les nuisibles n’existent quasiment pas avant de se lancer dans un potager. Cela signifie que l’arrivée de la main de l’homme trouble l’équilibre de l’espace qui sera consacré au potager, il n’y a pas de nuisible, ou si peu. Cela veut donc dire que c’est le fait de troubler l’équilibre qui existait avant notre arrivée, qui provoque l’arrivée des nuisibles. Les nuisibles seraient alors une réponse de la nature à l’intrusion de la main de l’homme.

Nous avons constaté que dans la partie consacrée à la forêt nourricière, les nuisibles ne s’attaquent qu’au légumes annuels. Nous pouvons aisément faire la différence d’autant que ces types de légumes y sont minoritaires. En Bretagne, dans notre potager de plantes vivaces nous avons maintes fois constaté que les ravageurs passaient leur chemin…

Nous avons tenté un jour de réaliser des semis spontanés de laitues. Nous avons battu une salade montée en graine, sur le sol, en novembre. Des centaines de graines ses ont réparties aléatoirement sur le sol. L’année suivante, nous avons eu droit à un tapis de salades qui a grossi et nous a donné une belle récolte. Pas une seule de ces salades n’ont été attaquées par des limaces. La nature nous donne une leçon importante. Il y a peu de ravageurs dans des espaces non investis par l’homme. Plus l’homme plante des légumes, plus il y a des ravageurs. Et pourtant, il faut se nourrir sainement. Ne devrions nous pas chercher aussi du coté des légumes anciens ?

Le nuisible n’est pas un nuisible !

Il est intéressant de s’arrêter sur le terme « nuisible ». C’est quoi un nuisible ? Le Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse (4) apporte des explications nuancées à propos de cette terminologie. « Il est, au final, très intéressant de constater que ce terme révèle une notion très anthropocentrée, une façon parmi d’autres, très occidentale, de considérer le rapport des humains à  la  nature.  La   valeur   des   entités   non-humaines   (espèces, écosystèmes) n’est estimée qu’à la mesure de leur utilité pour les êtres humains. C’est une notion qui est de plus contextuelle. De fait, une certaine modernité impose une vision écosystémique, avec laquelle le mot « nuisible » est incompatible« . Le Conseil Scientifique du Patrimoine Naturel et de la Biodiversité, remplace le terme « nuisible » par espèce susceptible d’occasionner des dégâts dans le code de l’environnement en France.

Dans nos formations, nous avons opté délibérément de supprimer les termes nuisibles et ravageurs par le terme auxiliaire du potager. La raison ? Nous nous posons toujours la question de la raison d’existence de ces êtres vivants dans la biodiversité. A quoi sert tel animal dans la nature ?

Nous savons que nous marchons à contre-courant. Il est indispensable de changer ses paradigmes si l’on veut encore vivre longtemps sur notre planète. A l’instar du Muséum de Toulouse, nous avons fait la différence avec les invasions que nous appelons les envahisseurs, comme le frelon asiatique.

Grande sauterelle verte sur une arroche rouge dans notre potager.

L’auxiliaire chasse-t-il le nuisible ?

A quoi sert le puceron ? Il est, avant tout, un animal bio-indicateur (5). La parcelle est trop chargée en azote. Il est donc probable que nous avons mis trop de matière organique d’origine animale. Il faut donc rééquilibrer avec du carbone. Le puceron permet, aussi, à la coccinelle, au syrphe ceinturé de se nourrir. Les deux cousines fourmis et abeille se régalent du miellat de puceron. Les petits oiseaux, comme le troglodyte mignon, s’en nourrissent aussi. Ainsi donc, les auxiliaires tant attendus devraient s’installer chez nous parce qu’il y a de quoi se nourrir et loger. En fait, ils sont tout aussi opportunistes que le nuisible et participent à la grande pyramide alimentaire ! Manger et être mangé !

Accepter que les nuisibles vous mangent le quart de votre récolte est hélas un mal nécessaire pour permettre la venue des auxiliaires utiles pour le potager. Il faut accepter que cela prenne du temps. L’installation de la biodiversité prend du temps. Il faut accepter cela. Nous avons choisi la permaculture comme système agricole de base. La biodynamie et l’électroculture ont complété l’aventure. Nous avons donné du temps au temps, bien que nous soyons parfois bien impatients de voir les nuisibles diminuer en nombre.

Nous devons donc aussi être le plus accueillant possible à la fois pour les auxiliaires et pour les nuisibles, la nourriture de nos alliés. En fait, et ce sera la n-ième répétition de ma part, il faut que le potagiste observe autour de lui, la nature, les animaux, les insectes, les auxiliaires et les autres. L’observation permet de comprendre le comportement de chacun pour mieux réagir l’année suivante.

Géry de Broqueville

  1. Ce produit n’a pas été décrit dans l’article précédent. Il n’est intéressant que pour bien retenir la terminologie utilisée en termes d’éradication.
  2. Voir article précédent sur le label bio.
  3. Olivier de Serres, Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Actes Sud, 2001.
  4. Patrice Lucchetta, Biodiversité, Nuisible, qui es-tu ?, in Muséum de Toulouse.
  5. Dans un article futur nous aborderons cette question des animaux bio-indicateurs.
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