Les bousiers ont été réintroduit dans les Landes de Gascogne pour assurer une décomposition des matières organiques d’origine animale et plus particulièrement celui des vaches. Il s’agit de vaches endémiques de la région qui ont été décimés dans les années 60 par la plantation de pins maritimes et l’abandon du pastoralisme. Nous allons voir comment la disparition de ces deux animaux favorise l’effondrement local.
La vache landaise maritime a failli définitivement disparaître au début des années 80. C’est la monoculture de pin maritime qui a été choisi à cette époque-là et exploiter comme bois solide et presque imputrescible. Très rapidement les landes ont disparu et la biodiversité a chuté drastiquement. Les vaches sauvages et les bousiers maintenaient une vitalité du sol qui a brusquement disparu. De plus la monoculture d’une seule variété d’arbre n’a pas favorisé la vitalité du sol.
En 1987, le dernier cheptel a été sauvé. Ces bovins vivent actuellement presque à l’état sauvage puisque vivant dans une réserve naturelle sans clôture. Par leur poids, les bovins empêchent la pinède d’avancer. La trentaine de vaches présente dans la réserve naturelle de Cousseau 1 recrée de la biodiversité typique de la région composée de marais et de landes. Les ruminants ne font l’objet d’aucun traitement sanitaire. 2 La faune autour des bouses est donc très riche.
Le cas de la biodynamie
La biodynamie insiste très fort sur l’importance de la présence de la bouse de vache en termes de fertilisation du sol. Bien sûr on ne parle pas de la bouse de vaches élevée en conventionnel qui produise une bouse liquide, noire et nauséabonde. Je me souviens, quand j’étais gamin, d’avoir été frappé par la consistance des bouses de vaches élevées dans les alpages dans une ferme en Suisse. J’ai vu une bouse spiralée terminée par une pointe vers le haut. Je trouvais cela étonnant et très beau. Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert que la pratique de la biodynamie pouvait produire une telle bouse.
Il est clair que le bousier ne peut participer au nettoyage des bouses que si la matière est consistante. Il est donc normal de voir ce coléoptère disparaître des endroits d’élevage conventionnel. La biodynamie met donc en valeur cette bouse extrêmement riche pour fertiliser les champs et les prairies. La biodynamie utilise la bouse de corne. Des chercheurs italiens se sont intéressés aux transformations de cette bouse quand elle est placée dans une corne de vache. Quelles sont les transformations qui se déroulent dans le sol quand on y place une corne remplie de bouse, durant une période de 150 jour, entre le 29 septembre et le 24 juin de l’année suivante 3.
Ils ont observé et analysé les populations bactériennes et fongiques à différents stades de maturation de la 500, depuis la bouse fraîche jusqu’au produit fini. Alors que les champignons sont dominants dans la bouse fraîche, ce rapport est inversé dès la mise en terre. Au bout de 85 jours, il y a une stabilisation de l’évolution. Ce qui est remarquable, c’est que le rapport final entre bactéries et champignons se rapproche de celui du sol. 4
Le grand théâtre bousier
L’action des bousiers, cette multitude de microorganismes qui enfouissent lentement mais sûrement les bouses dans le sol pour l’enrichir, est fondamentale dans le cycle de régénération de la prairie ou de la terre de nos jardins. L’animal le plus important parmi les bousiers est le scarabée qui inlassablement va faire descendre la bouse dans le sol. 5 Ce n’est pas pour rien que les Égyptiens anciens vénéraient cet animal comme celui qui permet de ressusciter les morts puisque chaque jour, le scarabée après avoir enfoui sa boule de bouse dans le sol, royaume des morts, apparaît le matin en sortant de terre.
Comme on le voit, par delà les millénaires et avec des motivations différentes, nous rejoignons les égyptiens : oui, l’humble scarabée qui vit dans les bouses est bien digne de notre respect.
Dès l’instant où une bouse tombe sur le sol prairial, sol et bouse se trouvent étroitement liés formant un complexe transitionnel et éphémère dans la chaîne de recyclage de la matière organique. Considérés comme une annexe du sol, ces dépôts de matières fécales possèdent des propriétés physico-chimiques spécifiques, véritables niches écologiques pour un bon nombre d’organismes.
1 Kg de bouse contient 10000 bestioles
Ce milieu, à évolution rapide, est habité par des espèces spécialisées qui occupent des vagues successives, intégrées sous forme de biocénoses évolutives. On compte jusqu’à 10.000 individus par kilo de bouse, appartenant à une centaine d’espèces, ce qui implique une intense compétition pour s’assurer une portion de la précieuse ressource alimentaire et pour éviter une compétition spatiale de la bouse.
Ces organismes sont en fait des chaînes de décomposition dont les nombreux acteurs n’agissent pas tous en même temps mais se succèdent par escouades, l’une préparant l’arrivée de l’autre. Le processus aboutit, comme dans toute chaîne de décomposition, à la minéralisation de la bouse et à son retour dans le cycle des bioéléments. Le sol “digère” la bouse intégralement.
Même si dans ce grand théâtre bousier, la faune effectue l’essentiel de l’action mécanique, lessivage, cryoturbation, évaporation et circulation des gaz contribuent aussi à la disparition des bouses. Cependant, ce sont les lombrics, les bactéries et les champignons qui sont les plus efficaces dans la transformation biochimique de la matière fécale, mais on connaît, pour les deux derniers, encore mal leur action. L’image ci-dessous provient du Conservatoire d’espaces naturels Rhone-Alpes. 6
Bousier européen et africain, même combat
Parmi cette faune se trouve un animal nettoyeur des bouses. Il porte le nom de bousiers. Le bousier a un rôle fondamental dans la nature. Il fait disparaître les bouses des vaches mais aussi de tous les autres ruminants. Même en Afrique, l’éléphant a son bousier attitré qui assure la même fonction. Le scarabée a donc cette immense tâche de nettoyage. Il fait cela non pas pour le bien de la communauté mais pour son bien propre. La vidéo ci-dessous montre très bien les avantages qu’ils tirent de la bouse.
Le bousier est attiré par les parfums chimiques exhalés par la bouse et est capté par des récepteurs chimique se trouvant sur les antennes de l’insecte. Le bousier rouleur va apporter sa boule dans un endroit précis et va l’enfouir dans le sol où il pondra un œuf. Il va extraire de la boule les microbes qui lui servira de nourriture pour lui et sa larve. 7
Dans les écosystèmes forestiers tropicaux, la disparition de certaines espèces de bousiers signifie une disparition du nombre de mammifères. Ces disparitions peuvent nous renseigner sur la santé des forêts. La disparition des bousiers et d’autres animaux du sol en raison de perturbations chimiques et environnementales aurait un impact négatif pour la fertilité de nos sols. Les graines de nombreuses plantes seraient moins efficacement dispersées. Bref le bousier est un animal extrêmement important et précieux pour garder la diversité d’un lieu. L’expérience des Landes est similaire à celle de l’Afrique.
Dans la réserve naturelle de l’étang de Cousseau, trente couples de bousiers Scarabaeus laticollis ont été réintroduits fin avril 2024. Ils avaient disparu dans les années 1960 au moment de la disparition de la vache landaise. Il y avait tout de même 22 variétés de scarabée dans la réserve mais aucune n’était capable de rouler les boules de bouses. Ces derniers bousiers ont un rôle fondamental de répartition de la biodiversité dans le milieu naturel. Dans les bouses se trouvent des graines qui vont germer dans l’endroit où les Scarabaeus laticollis vont les transporter. Les graines voyagent ainsi parfois sur de grandes étendues. En plus, les boules ainsi transportées à un autre endroit, vont aider à fertiliser le sol.
Le bousier chez nous ?
Le scarabée Scarabaeus laticollis se trouve aussi en Belgique. Seule l’Antarctique n’a pas de bousier. Tous les bousiers font ce travail de nettoyage des excréments qui traînent sur le sol.
Les éleveurs de bétails peuvent introduire ce type de scarabée s’ils n’en trouvent pas sur leur territoire. 8 Cela aura pour effet d’enrichir à nouveau leurs terres de manière naturelle sans autres apports que ces insectes.
Avec l’arrivée de ces scarabées, les chercheurs ont découvert que deux prédateurs disparu dans les Landes, ont refait leur apparition. Il s’agit du Staphylin bourdon (Emus hirtus) et la pie-grièche écorcheur (Lanius collurio). Le Staphylin bourdon est encore présent en Belgique surtout en Gaume. La pie-grièche était en voie de disparition totale en Belgique. Il a réapparu dans le sud du Condroz depuis la fin des années 80.
Preuve de l’utilité absolue des bousiers
Malgré leur nom peu valorisant, les bousiers jouent un rôle agronomique et écologique majeur dans l’écosystèmes des prairies. Ils recyclent les excréments, participent à l’aération, à la fertilisation et au nettoyage des sols.
En Australie, avant l’arrivée du bétail, les bousiers locaux ne mangeait que les excréments des kangourous. « Au XIXème siècle, l’introduction du bétail par les colons tourna au désastre. Sous les flots de bouses que les insectes locaux ne parvenaient pas à attaquer. Un bovin produit deux tonnes de bouses par an, qui couvrent en moyenne 150 m2 ! Les 300 millions de bouses quotidiennes du cheptel australien, recouvrant 100 000 km2 chaque année, étaient dégradées en 5 ans seulement faute de bousiers pour permettre le travail microbien ! Les bouses empêchaient l’herbe de croître et repoussaient les vaches, qui évitent les lieux souillés. En plus, les bouses abritent les larves de mouches suceuses de sang, dont les adultes attaquent le bétail : les bouses peu dégradées entrainèrent leur prolifération. Un vrai désastre agricole ! » 9
C’est en 1967, que l’Australie introduit un bousiers africains, spécialiste des excréments des éléphants, le Heliocopris gigas. Ce coléoptère a 6 cm de long. Il est capable d’assimiler une demi-bouse en une nuit. L’Australie a commencé à respirer !
« Les bousiers, en transportant, fragmentant et recyclant les excréments par leur digestion, favorisent la pénétration des micro-organismes au sein de la bouse. Ils l’ensemencent également en bactéries provenant de leur flore intestinale. Toutes ces actions permettent de dégrader les excréments, donc de libérer le sol mais également de l’enrichir en matière organique et sels minéraux« .10
En conclusion…
Ma réflexion personnelle est que si le résultat final de cette maturation avec une bouse de corne 11 s’approche d’un sol de qualité quand le processus de maturation a eu lieu, il serait intéressant d’analyser le sol dès le moment où un bousier a collecté la bouse et insérer dans le sol pour la manger, évacuer ses propres excréments, pondus ses œufs et laisser ses larves manger le surplus de bouses jusqu’au moment où la bouse est complètement décomposée dans le sol par l’entremise du bousier. Est-ce la même richesse que la bouse de corne ? 12
Voilà encore un bel exemple d’enrichissement de la biodiversité par l’apport d’insectes. Ceux-ci avaient disparu à cause de l’exploitation économique des sols.
Géry de Broqueville
- Voici le site Internet de cette réserve naturelle. ↩︎
- Théo Tzélépoglou, Petites bêtes, grosse commission, in Salamandre, août-septembre 2023. ↩︎
- Cette préparation porte le chiffre de 500. ↩︎
- Voir le pdf écrit par Martin Quantin, La bouse de corne sous microscope, in biodynamie recherche, 9/12/2020 et avril 2023. ↩︎
- Il y a trois types de bousiers : Le bousier résident s’installe directement dans la bouse, y pond ses œufs, le bousier fouisseurs creuse dans le sol une ou des galeries et s’y installe, et puis il y a les bousiers rouleurs. C’est celui que l’on décrit ici. Voir IDIV. ↩︎
- Ce pdf est très intéressant parce qu’il montre en détail la vie des bousiers et ce qu’il y a lieu de faire pour les protéger ↩︎
- Eric Grissel, Les insectes au jardin, en quête d’un jardin écologique, ed. Rouergue2001, p.132. ↩︎
- Bien que nous n’en avons pas trouvé sur le site Internet de bioinsecte.com, il est bon de leur demander où il est possible d’en trouver. ↩︎
- Marc-André Selosse, Professeur à l’ISYEB (Muséum national d’Histoire naturelle), Le Bousier, in France Inter, 10/03/2021 ↩︎
- Aude Coulombel, Jean-Pierre Lumaret, Les bousiers, in Alter Agri n)85, 2007, p.6. ↩︎
- Des chercheurs ont placé de la bouse dans une corne en plastique ainsi que dans une corne de vache entouré de cellophane, les résultats sont inférieurs. La composition principale de la corne est de la kératine. C’est cette dernière qui provoque l’enrichissement de la bouse maturée. ↩︎
- Je n’ai trouvé aucun recherche scientifique pour connaître pour connaître le degré de richesse du sol après le travail du bousier. ↩︎