Dans nos articles, nous n’oublions pas nos amis africains. Pas à Pas vers une terre vivante travaille depuis 2016 avec les jeunes de la ferme pédagogique de Ndoumboudj, à 20 km au nord de la Gambie. Lorsque je suis allé la première fois dans ce lieu, j’étais sidéré de voir combien de plantes sauvages étaient utilisées dans la pharmacopée sénégalaise. Je m’étais promis d’essayer d’analyser ces plantes pour que nos amis sénégalais puissent en parler dans les formations données. Puisque nous avons déjà étudié l’ortie Urtica dioica sous deux aspects différents, nous abordons ici l’ortie africaine.

Description de l’ortie

Hyptis est l’un des plus grands genres avec plus de 300 espèces d’herbes, d’arbustes et de petits arbres, Hyptis suaveolens ou ortie africaine fait partie de la famille des Lamiacées ¹ comme bon nombre de condiments et plantes médicinales. Ses différents noms sont vilayati tulsi, menthe de brousse, thé de brousse en Inde, le gros baume au Bénin. Elle est une lointaine cousine de Urtica dioïca, la grande ortie. Les deux plantes font partie de la classe des Magnoliopsida, A remarquer, les deux plantes portent le nom vernaculaire d’ortie. Or seule Urtica dioïca est membre de la famille des Urticacées. ²

Sa définition nous raconte une très belle histoire qui nous intéresse particulièrement dans cette période où nous découvrons des liens entre les plantes et les animaux. Le Sanke Baïla est son nom en Wolof. Baïla provient du nom d’un village en Casamance, près de Bignona, connu pour avoir une grande quantité d’Hyptis. Il est originaire des zones tropicales d’Amérique latine où on le nomme Chan (voir utilisation en cuisine). Par son caractère invasif, cette espèce est maintenant largement distribuée en Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est, Océan Indien (Madagascar, La Réunion), Inde, Asie, Océanie (ouest et nord de l’Australie).

La plante est bien connue comme une pseudo-céréale ³ en Amérique latine. C’est une plante très aromatique, à port droit, entre 50 cm et 2 m de hauteur, et qui est entièrement recouverte d’un duvet de poils fins et gris. Elle possède de petites fleurs bleues ou pourpres. Le fruit est une nucule ⁴ de couleur noire. La racine est pivotante. Cette plante est annuelle. Floraison de novembre à février ; fructification de décembre à mars.

Une ortie bio-indicatrice

Hyptis suaveolens est une espèce qui s’est bien adaptée dans des milieux où se déroulent des activités humaines. Elle est une adventice commune dans les cultures. Hyptis suaveolens se rencontre près des habitations, des routes, des canaux d’irrigation, des chemins forestiers et dans les zones perturbées. Cette plante sauvage est sensible à une élévation du rapport carbone/azote et une diminution du pH. Il est indicateur de sols de mauvaise qualité.

Principes actifs de Hyptis suaveolens

C’est grâce à une transformation des fleurs et des feuilles en huile essentielle que l’on connaît les principes actifs de Hyptis suaveolens. Pour une bonne lecture, le premier chiffre est le pourcentage dans les fleurs et le second est pourcentage dans les feuilles. On y décèle ainsi le β-caryophyllène (15,90 – 17,36 %), le sabinène (10,59 – 12,01 %), le terpinolène (9,40 –11,75 %), le sclarène (9,30 – 9,70 %), le β-pinène (6,52 – 9,30 %) et le bergamotene (4,90 – 5,63 %). ⁵

H. suaveles est une herbe médicinale aromatique caractérisée par la présence de divers composés phytochimiques comme les huiles essentielles, les phénoliques, les triterpénoïdes, les stéroïdes, les flavonoïdes, etc. qui constituent le profil chimique des plantes. Il contient une quantité élevée d’huiles essentielles dans les glandes grasses en plus des tanins, des phénoliques et des saponines.

Différentes parties de la plante contiennent du calcium (Ca), du potassium (K), du phosphore (P), de l’azote (N), du magnésium (Mg) et du sodium (Na) à différentes concentrations, tandis que le tissu broyé des racines et des tiges des feuilles contient également des cristaux d’oxalate de calcium.

Ses utilisations

Dans son espace nourricier

En tant que plante, il possède une odeur puissante qui permet d’éloigner les moustiques. Ces insectes ne supportent pas son parfum, ce qui les empêche de piquer. C’est une plante très efficace contre les moustiques tigres et peut également repousser d’autres insectes nuisibles comme les mouches et les pucerons. La fumée dégagée par la combustion de la plante entière constitue un excellent insectifuge.

On lui attribue également des propriétés antifongique, antibactérien et insecticide : feuilles et graines sont séchées et moulues, et utilisées en traitement biologiques de certaines cultures céréalières. Au Bénin, des chercheurs ont mené une étude sur l’incidence des pulvérisations chimiques naturelles en comparant l’utilisation de trois plantes : Hyptis suaveolens et Azadirachta indica (neem) et Anacardium occidentalis. Il s’avèrerait que la concentration de 17% de H. suaveolens est idéale pour faire fuir et éliminer les ravageurs dans le bassin cotonnier du Sénégal. ⁶ Une des conclusions est celle-ci : nos résultats concordent avec beaucoup d’études qui ont démontré la plus faible toxicité des insecticides botaniques sur les ennemis naturels des ravageurs de cultures que les insecticides synthétiques principalement en raison de leur courte activité résiduelle. ⁷

Hyptis suaveolens est citée comme plante à la fois nectarifère et pollinifère.

Attention : Hyptis suaveolens, en se développant et en occupant physiquement le terrain, il ne permet pas à la flore indigène de reconquérir son propre terrain. Elle est connue pour produire des composés allélopathiques qui inhibent la germination des graines d’autres espèces. Il n’est pas forcément bon d’avoir cette plante dans son espace nourricier surtout en présence de certaines autres plantes.

Hyptis suaveolens est un hôte de Rotylenchus reniformis (nématode réniforme de l’ananas et de l’avocatier) et un hôte mineur de Helicoverpa armigera (noctuelle de la tomate, chenille des épis du maïs et ver de la capsule du cotonnier).

Dans sa pharmacie

La décoction de feuilles est utilisée, en usage externe, dans le traitement des fièvres, de la jaunisse ou des maux de tête. Leur infusion est efficace pour débarrasser les bronches de leurs mucosités. A Kourientine, les femmes l’utilisent simplement en bouquet dans les chambres pour repousser les moustiques. ⁸

L’acide ursodésoxycholique a été rapporté comme ayant une réponse antivirale efficace contre le SARS-CoV2 responsable de la pandémie de COVID-19. Les feuilles de la plante sont à l’origine de métabolites secondaires importants ayant des propriétés sédatives, diurétiques, antispasmodiques, anticoliques, antirhumatismes, anti-inflammatoires, anti-catarrhales, anti-cutanés, anti-pyrétiques, anti-fertilitaires anti-sopre et anti-cancéreux.

Les huiles essentielles contenues dans les feuilles ont des propriétés antimicrobiennes et antifongiques potentielles. L’extrait de racine contient un composé anti-rétroviral appelé acide urosolique, un triterpénoïde qui peut cibler les intégrasses rétrovirales et les protéases bloquant la réplication de rétrovirus tels que le VIH. ⁹ L’huile essentielle fabriquée à partir de ses feuilles est un excellent anti-moustique qui peut être utilisé par l’être humain sans toxicité, contrairement au DEET, utilisé depuis de nombreuses années. ¹⁰

Cette plante est, en plus, riche en vitamines A, C ,E, B (B1,B2,B3,B5,B6,B9).

En cuisine

Chan est le nom de la boisson issue des graines. Le Chan est utilisé communément comme une boisson rafraîchissante, en laissant les graines s’imbiber dans l’eau et en rafraîchissant le mélange. Certaines préparations requièrent l’ajout de citron ou d’autres agrumes (citrus) pour parfaire le goût.

Dans l’industrie

A l’instar d’autres plantes comme l’Artemisia annua pour lutter contre le Covid-19, l’Afrique a de sérieux atouts pour développer une industrie de médicaments basée sur des plantes et non pas des molécules de synthèse issues des plantes. Certains pays d’Afrique sub-saharienne envisagent de développer une industrie autour de l’ortie africaine. Dès qu’on lui donne un espace à coloniser, elle s’en donne à cœur-joie. Elle se réplique très facilement. Des tests ont été effectué pour savoir comment il était possible de la domestiquer.

Faut-il faire des labours ou pas, des semis directs, semis-direct ou des repiquages ? Après expérimentation, il est recommandé d’utiliser la technique de non-labour avec semis direct pour la production de Hyptis suaveolens, étant donné que cette technique nécessite moins d’effort et donne un rendement équivalent à celui du labour avec semis-direct. Le criquet puant Zonocerus variegatus, un papillon nocturne Cosmophila flava, un papillon diurne Acreaa zetes, L’Aleurode du tabac Bemisia tabaci sont les espèces d’insectes ravageurs identifiées sur cette plante au cours des travaux. ¹¹

En conclusion…

Il y a une grand paradoxe chez cette plante. Elle est formidable en utilisation médicinale. Elle est épouvantable quand elle se développe dans son espace nourricier car invasive et inhibitrice de croissance pour les autres plantes. Elle attire à elle, les ennemis de la tomate ou du maïs. Elle est répulsive contre les moustiques. C’est tout et son contraire. Sous forme d’huile essentielle, elle apporte le réconfort aux humains et animaux malades, alors qu’elle est toxique pour les ravageurs.

Cette plante est de plus en plus étudiée fort heureusement. Elle a certainement plus d’un tour dans son sac que nous ne connaissons pas encore. Même si c’est une lointaine cousine de l’ortie, la multiplicité de leurs services se ressemble quelques part. Cette plante est tellement riche en principes actifs qu’elle peut vraiment entrer au service de la santé humaine. Et là, l’Afrique a de bons atouts pour devenir un réservoirs de plantes médicinales.

Géry de Broqueville

1. L’ortie Africaine fait partie de la même famille que les lamiers et du basilic par exemple. Nous verrons ces plantes un peu plus tard. ↩︎
2. D’autres plantes porte le nom d’ortie comme les lamiers, les deux épiaires des marais et des bois, le galéopsis tétrahit et la campanule gantelée. ↩︎
3. Les pseudo-céréales sont des plantes dont on conserve et consomme les graines presque comme les céréales. Ce ne sont pas des graminées. Leur graines peuvent être moulues et réduites en farine et utilisées comme celles des céréales.Les pseudo-céréales les plus courantes sont : l’amarante, le quinoa, le chia, et le sarrasin. Il en existe 10 au total. ↩︎
4. Nucule : Fruit sec de type akène avec une paroi très dure qui ne s’ouvre pas spontanément. Exemple : la noisette ou la figue. ↩︎
5. Saliou Ngom & Co, Composition chimique et propriétés physico-chimiques des huiles essentielles d’Ocimum basilicum et d’Hyptis suaveolens (L.) Poit. récoltés dans la région de Dakar au Sénégal, in Bulletin de la Société Royale des Sciences de Liège, Volume 81 – Année 2012. p.174. ↩︎
6. Au sud du pays, le bassin de production, qui correspond environ au tiers de la superficie du Sénégal, recouvre trois zones agroclimatiques plus ou moins favorables à la culture cotonnière avec un gradient de pluviosité nord-sud de 700 à 1 200 mm. Ces trois zones entourent l’est de la Gambie. ↩︎
7. Banna SANE, Efficacité biologique des extraits d’Azadirachta indica A. Juss, Hyptis suaveolens (L.) Poit et Anacardium occidentale Linn. dans la lutte contre Helicoverpa armigera (Hübner, 1808) (Lepidoptera, Noctuidae) ravageur du , cotonnier (Gossypium hirsutum L.) au Sénégal, UCAD, 2021, p.99. ↩︎
8. Bernard Boullard, Plantes médicinales du monde : croyances et réalités, ↩︎
9. Pour avoir une vision globale et précise de l’ensemble des apports médicinales de cette plante, le site Internet suivant est bigrement complet ! ↩︎
10. Ayaba Z. Abagli & Thiery B.C. Alavo, Potentialités insectifuges du gros baume, Hyptis suaveolens Poit. (Lamiaceae) : Perspectives pour la lutte contre les moustiques en zones tropicales, in Journal of Applied Biosciences #149, 2020. ↩︎
11. L.E. Ahoton & Co, Domestication du gros baume (Hyptis suaveolens (L.) Poit.) : techniques de production et potentiels insectes ravageurs au sud du Bénin, Faculté des Sciences Agronomiques, Université d’Abomey-Calavi, 2010, p.6013. ↩︎