Rencontre avec Obama nungara
・❥・ Le tueur de la biodiversité


Obama nungara n’a rien avoir avec l’ancien président des États-Unis. J’ai seulement rencontré un ver plat qui est en train de faire parler de lui. Il va être de plus en plus présent chez les agriculteurs, les maraîchers et les potagistes européens. C’est donc un animal de quelques centimètres qui a un profil redoutable tout en étant aussi très plat !
Lors d’une formation en maraîchage qui s’est déroulée chez Terre de Cense à Incourt, nous avons rencontré les très fameux vers plats qui sont une future plaie pour les gens de la terre. Ces vers ne se font pas remarquer, faisant semblant d’être un bout de branche sur le sol. C’est Sandrine qui l’a repéré sous une bâche en plastique d’un de ses tunnels nantais. 1 Sandrine Detry est la fondatrice de Terre de Cense à Incourt. 2

Obama nungara fait partie de la famille des Plathelminthes terrestres. Les vers plats terrestres (Platyhelminthes, Geoplanidae) forment un groupe d’environ 910 espèces, qui sont, sans exception, des prédateurs de la faune du sol. Un nombre croissant d’études fait état de la présence d’espèces de vers plats terrestres en dehors de leur aire de répartition indigène.
Les vers plats ou Platodes portent le nom de Plathelminthes pour la majorités des chercheurs ou Platyhelminthes pour les anglophones. Les deux sont acceptés comme noms scientifiques valides. Les Plathelminthes sont un embranchement du règne des animaux (Animalia). Nous en avons quelques uns en Belgique comme le Microplana spp. ou Rhynchodemus spp qui font un maximum de 1 cm. Ce sont des vers plats qui font parties des micro-organismes bons pour le sol.
Originaire d’Argentine, l’espèce Obama nugara est considérée comme invasive en Europe, principalement le long des côtes atlantique et méditerranéenne, toujours en plaine. On sait qu’il est arrivé chez nous par la vente de plantes exotiques. Transportés avec le sol et les racines des plantes exotiques dans le cadre du commerce international. Obama nungara a déjà été repéré en Afrique. 3
Un ver sans nom latin !
Il y a quelques années, il était très difficile de parler de ce vers d’autant qu’il n’avait pas de nom. Ce ver plat n’a jamais été étudié par les scientifiques. En 2016, des chercheurs du Brésil et d’Espagne lui ont donné son nom complet, après trois années de recherche pour classifier tous les vers plats argentins.Ils ont créé le genre Obama.
Ce genre va donc permettre de classer plusieurs espèces dont le Nungara. Les deux mots sont issus de la langue Tupi 4 originaire d’un peuple amérindien du Brésil. Le nom du genre veut dire respectivement feuille (oba) et animal (ma). Nungara signifie, en Tupi, « similaire » parce que l’espèce ressemble beaucoup à Obama marmorata qui vit au Brésil. Très souvent les chercheurs ont pensé que les deux vers étaient les mêmes. Il n’en est rien. Leur morphologie est différente bien que faisant partie du même genre. 5
Dans son pays d’origine, Obama nungara n’a jamais été étudié parce qu’il est discret et peu présent. Cette espèce a trouvé en Europe un milieu accueillant, riche en nourriture, débarrassé des parasites et des prédateurs qui limitent sa prolifération dans son aire d’origine. 6 C’est ainsi que ce ver est entré dans la liste des EEE (espèces exotiques envahissantes). 7
Une étude scientifique participative est en cours, en France, pour déterminer le taux de dangerosité d’Obama nungara. Cet espèce est probablement la plus commune mais aussi la plus dangereuse. Cette étude a déjà révélé dans au moins 70 départements français comptabilise la présence d’au moins 10 espèces d’Obama.
Description
Obama nungara a une taille maximale de 70 mm de long, au corps lancéolé. Son dos est de couleur jaune d’or avec des taches brunes à noires donnant un effet marbré. Généralement, une ligne longitudinale plus claire court au milieu du dos. Cette ligne n’est pas apparente chez tous les individus. La face ventrale est d’une coloration uniforme entre crème à gris. Comme pour la plupart des espèces du genre Obama, O. nungara a des centaines d’yeux répartis le long du corps. Ils forment une rangée unique à l’extrémité avant, puis au bout de quelques millimètres se répartissent en plusieurs séries réparties sur un tiers de la largeur de chaque côté du dos. Les yeux dorsaux sont entourés de halos plus clairs. 8

Ces vers invasifs n’ont pas de prédateur en Europe d’autant que son goût est infâme. 9 De plus, ils se reproduisent par scissiparité. Ils laissent se détacher un petit bout de leur corps qui deviendra un ver à son tour. En soi, il produit un clone. De plus, l’espèce produit des cocons de ponte ressemblant à des petites boules noires, réunissant jusqu’à douze embryons. En tout, le ver prend une quinzaine de jours à se reproduire. Selon les chercheurs, le taux de reproduction est très élevé : 1 085 vers / hectare / jour.
Milieu de vie
Les vers plats terrestres ont besoin d’un taux d’humidité élevé pour éviter de se déshydrater. On les trouve donc dans des endroits sombres, frais et humides. Les vers plats se réfugient sous les pierres, les planches, les terrasses, les sacs de terreau, les bacs, les pots, les bâches, pendant la journée. C’est ainsi qu’on le voit très peu.
C’est un animal nocturne. Il sort la nuit pour dévorer ses proies. Dès la tombée de la nuit, il se déplace rapidement. Il chasse ses proies en les repérant avec ses très nombreux yeux. Une fois sa proie repérée et approchée, il la bloque avec son corps et déploie son pharynx, une partie de son système digestif, pour l’absorber.
Son alimentation détruit la biodiversité
Obama nungara n’hésite pas à avaler tout cru nos vers de terre endémiques et plus que cela encore. Nous allons voir ce qu’il en retourne. L’étude française, en cours, permet de déterminer par voie d’observations mais aussi d’analyses du contenu des estomacs des vers plats avec la méthode de méta barcodage. 10 Le type d’aliment qu’ils affectionnent ? La plupart des potagistes seront heureux d’apprendre que ces vers s‘attaquent aux limaces et aux escargots ! Ils verraient cela d’un bon œil. Ce n’est pas si simple que cela. Comme vous le savez, les gastéropodes que sont les limaces et escargots, s’ils venaient à disparaître sous la dent d’Obama nungara, la biodiversité en prendrait un sacré coup. 11
Par ailleurs, l’étude française a montré que deux des vers visibles au sol sont attaqués par les vers plats. Or ces vers de terre sont un élément essentiel pour la fabrication du complexe argilo-humique. Les vers de terre sont comme des ingénieurs de l’écosystème, contribuant à de nombreuses fonctions du sol et fournissant plusieurs services écosystémiques. Les vers de compost ou de surface, les épigés (Lumbricus rubellus), les vers de terre anéciques (Lumbricus terrestris), sont concernés par ces attaques nocturnes. Vivants sous terre, les vers endogés (Aporrectodea caliginosa) sont moins attaqués. Les vers plats s’attaquent généralement à ce qui est accessible, c’est-à-dire à la surface du sol.
Si le nombre de vers de terre venaient à diminuer, notre sol finirait par s’appauvrir malgré tous nos efforts d’apports de matières carbonées. La biodiversité reculerait là encore. 12 Les chercheurs ont pu ainsi estimer au Royaume-Uni que le ver plat de Nouvelle-Zélande pouvait réduire la biomasse de vers de terre de 20%, ce qui est un chiffre énorme.
Des analyses de l’estomac
Pour avaler sa proie, il s’étend sur sa proie, la comprime. En même temps, le ver plat fait sortir son système digestif pour absorber le ver de terre. Il est impossible de disséquer le tube digestif du plathelminthe car ses tissus sont une bouillie de tissus mélangés, sans cavité. La solution mise au point par les chercheurs consiste à prélever un petit morceau de plathelminthe et à en faire une analyse moléculaire pour rechercher la signature génétique des vers de terre ou des autres proies.
C’est ainsi que l’on sait que le vers plat Imbira marcusi originaire d’Argentine ne consomme que des vers de terre. Un autre, qui porte le nom de Cephaloflexa bergi, originaire du même pays, consomme non seulement des vers de terre mais aussi des arabis 13, des criquets, des hyménoptères comme l’abeille et la guêpe, des lépidoptères (papillons) et même ses congénères les vers plats terrestres.14 Il ne s’intéresse pas du tout aux plantes. C’est déjà ça ! Il faut reconnaître que son terrain de chasse est essentiellement en lien avec l’être humain : jardins privés, potagers, espaces maraîchers, jardineries, pépinières et en présence de serres.
Présence en Wallonie
A une question écrite au parlement Wallon, à propos de l’existence de ce ver plat en Wallonie, le 8 janvier 2024, la ministre de l’agriculture, Céline Tellier a répondu ceci : (…) trois vers plats exotiques ont été observés sur le territoire wallon (Obama nungara, Rhynchodemus sylvaticus et Marionfyfea adventor). 15 Les connaissances sur la distribution de ces vers sont assez limitées, notamment en raison de la difficulté d’identification de ces organismes. Le nombre d’espèces de vers plats effectivement présents en Wallonie pourrait être plus élevé. Obama nungara s’observe principalement dans des milieux artificiels comme les jardins. Le risque environnemental de cette espèce a été évalué comme « modéré » pour l’Europe occidentale, où elle est capable de survivre et de se reproduire. Bien qu’Obama nungara se nourrit surtout de vers de terre, cette consommation reste modérée et ne serait pas de nature à impacter fortement leurs populations (moins d’un lombric consommé par semaine en moyenne). 16 La Flandre n’est pas épargnée par cette arrivée massive.
Même si cela semble une préoccupation mineure actuellement, elle lance, via la plateforme observation.be, un appel au système de science citoyenne 17 où les maraîchers, les jardiniers ou les potagistes peuvent signaler la présence de ces nouveaux envahisseurs. 18
Somme toute, nous avons de la chance de n’avoir pas été envahi par un vers qui porte le nom de tête en marteau qui peuvent atteindre 1 mètre de long. Il s’est installé dans les départements sud de la France.
Comment lutter contre cet envahisseur ?
A l’heure actuelle, il n’y a aucun prédateur qui s’intéresse au ver plat. Une fois établi, ils sont malheureusement très difficiles à contrôler. Si l’on en voit, la seule chose à faire est de l’écraser. N’allez pas imaginer que les poules vont nous tirer d’affaire. On sait depuis 1898 que la poule ne mange pas de vers plats. En effet, le goût de tous les vers plats est infect.
L’éradication est très difficile, voire impossible. Si vous voulez agir, il est important de ne pas découper les vers plats, car de nouveaux individus peuvent émerger de ces morceaux. 19 Si l’infestation est localisée à une plante en pot, il est préférable de l’immerger complètement dans l’eau pendant une période prolongée, mais pour les infestations plus importantes, il existe peu de méthodes de gestion connues qui peuvent être appliquées à grande échelle. Certaines sources parlent d’excaver complètement la parcelle et de chauffer le sol, mais ce n’est pas très pratique et des protocoles d’hygiène appropriés doivent être suivis de près afin d’éviter toute propagation par les machines et les travaux de terrassement. La prévention pour empêcher la propagation est l’arme la plus importante contre ce groupe de vers non indigènes. 20
Quelques espoirs
Le seul espoir actuellement, c’est d’avoir un bon coup de froid ou de gel (à -10 ou -15°C pendant plusieurs jours) qui éliminerait une bonne partie voire la totalité des vers plats. N’oublions pas que ceux-ci sont d’origine tropicale. Ils se sont adaptés chez nous parce que la température augmente. Ils ne résistent pas au grand froid. C’est ainsi que dans les zones montagneuses, on ne rencontre pas le ver plat.
Il est probable aussi que le ver plat disparaisse en cas de sécheresse. Pour se développer, il a besoin de beaucoup d’humidité. Il déteste la sécheresse. Or ce type de climat n’est pas souhaité en Europe, surtout en cette période de changement climatique.
Un autre espoir, c’est qu’il arrive que l’envahisseur s’autorégule. Comme Obama nungera mange les autres vers plats, il se pourrait qu’il disparaisse un jour. Pour prendre l’exemple du frelon asiatique, on en voit moins parce qu’il a fini par trouver son prédateur en la poule bretonne de Janzé. L’espoir est qu’un prédateur finisse par manger ce vers infect ! 21
Il vaut donc mieux prévenir que guérir ! Il n’y a pas de moyen de lutte directement sur le terrain. La seule manière de travailler est d’accentuer les contrôles aux douanes. La meilleure solution est d’adopter des mesures phytosanitaires dans le commerce des plantes ornementales qui est la principale source d’introduction.
En conclusion…
Bien que Sandrine nous avait certifié que nous avions bien affaire à des Obama nungara, le Guide des FlatwormWatchers nous confirme le nom de cet animal. Si Incourt possède déjà ses Obama, il est très probable qu’à Éghezée, distante de 16 km, nous le soyons aussi. Nous allons donc ouvrir l’œil pour chasser ce prédateur.
Une fois de plus, l’être humain, par appât du gain, fait n’importe quoi avec la nature. Pourtant, il est dit et répété qu’il faut arrêter de transporter des plantes ou des animaux exotiques d’un lieu à l’autre de la planète. Dans nos articles, nous avons déjà signalé quelques cas d’implantations néfastes comme la pyrale du buis ou le zeuzère et très récemment la coccinelle chinoise. C’est le tour du ver plat avant de vous parler du doryphore, de la renouée du Japon ou du frelon asiatique.
Il n’empêche que ce type de ver plat risque fort de perturber tous nos efforts pour retrouver un temps soit peu de biodiversité.
Géry de Broqueville
- Un tunnel nantais est recouvert d’une bâche en plastique de 2 m de large environ sur autant de mètres désirés. Cela permet de mettre au chaud les légumes, en cas de gel ou de tempête.. ↩︎
- Sandrine est devenue membre de l’équipe Terre en ciel en 2024. Elle y donne des formations sur la récolte et la conservation des légumes dans notre chalet à Éghezée. ↩︎
- J’ai cherché longuement pour connaître les pays africains touchés. Aucune information ne confirme cette assertion trouvée sur un seul site Internet. Je ne vois que les régions dont l’humidité au sol est important. ↩︎
- Pour découvrir cette langue, voir Wikipédia. ↩︎
- Lire l’abstract dans le Zoological Journal Volume 177, No 1, 1er mai 2016, Oxford University. ↩︎
- J’ai cherché en vain une étude sur le comportement de Obama nungara en Argentine même. Cela aurait été intéressant de connaître ses prédateurs locaux voire même ses plantes répulsives. Dans ce dernier cas, l’idée n’est pas d’importer la plante répulsive mais bien d’en connaître le nom de telle sorte que l’on puisse trouver une plante européenne de la même famille. ↩︎
- Voir la définition à l’INPN Institut national du Patrimoine naturel. ↩︎
- Description plus complète, voir Wikipédia ↩︎
- Les vers plats contiennent une neurotoxine très puissante (la tétrodotoxine connue pour être présente dans le foie, les ovaires, les intestins et la peau du fameux fugu, le poisson-globe adoré les Japonais). Par conséquent, si vous trouvez un plathelminthe, ne le touchez pas à main nue, on ne sait jamais. Toutes les photos montrent Obama nungara dans les mains de Sandrine. Depuis lors je l’ai revue. Elle se porte comme un charme ! ↩︎
- Le métabarcodage est une technique d’identification des plantes et des animaux basée sur l’identification basée sur l’ADN et le séquençage rapide de l’ADN. ↩︎
- Je vous invite à lire un article déjà écrit dans ce bloc sur les raisons d’existence de la limace. ↩︎
- Dans notre cinquième chapitre consacré aux limaces, vers la fin de l’article, nous avons parlé du lien entre la limace, le cers de terre et le champignon. Un bel exemple de coopération mis à mal par le vers plas ! ↩︎
- Arabis est le nom que l’on donne en Provence à un petit moucheron piqueur (il mord)Ce n’est pas un moustique. ↩︎
- Pour ce qui est d’une meilleure connaissance de son système digestif, je vous renvoie vers un excellent article qui m’a, en partie, inspiré pour vous décrire ces vers plats, ci-dessus. ↩︎
- En réalité, depuis 2015, au moins 8 espèces de vers plats exotiques ont été trouvées en Belgique, le plus souvent dans des serres tropicales. La ministre cite les trois qui se sont déjà avérées capables de survivre en dehors de serres. ↩︎
- Voir Parlement de Wallonie, en cliquant ici. ↩︎
- Le Secrétariat scientifique national des espèces exotiques envahissantes – qui est basé à l’Institut des sciences naturelles a lancé au printemps 2024 le projet FlatwormWatch. Ce projet de science citoyenne invite les maraîchers, les jardiniers et les naturalistes amateurs à partir à la recherche de ces mystérieux vers, et d’encoder leurs observations via la plateforme participative observations.be. ↩︎
- Voici une clé d’identification des vers plats. Cliquez ici. ↩︎
- La légende urbaine explique qu’en coupant un ver de terre en deux, on aura deux vers de terre viables. C’est archi-faux. ↩︎
- Pour plus d’informations, cliquez ici. ↩︎
- Et surtout que les producteurs de produits phyto chimiques de synthèse ne s’avisent pas à fournir le remède miracle qui finira, quand même, par détruire la biodiversité des sols. ↩︎